vendredi 24 juillet 2015

La prédation chez le chien de compagnie

Mon chien, mon meilleur ami, mon compagnon de tous les jours, a tué le chat de la voisine. Soudain, il m’est apparu comme un étranger. Au-delà du choc, de la violence de l’attaque, j’ai été forcée de le voir tel qu’en lui-même : un canidé, un prédateur, aux sens et à la mâchoire aiguisés pour la chasse.

Hiatus : il y a d’un côté le chien que j’aime, que j’imagine, et de l’autre celui qui, sous mes yeux effarés, a brisé la colonne vertébrale du chat de la voisine. Qui est peut-être même ensuite venu vers moi, tout content, avec son trophée dans la gueule. Comment réconcilier ces deux visions du chien ? Mon chien câlin et tranquille, et la brute sanguinaire qui a surgi d'un coup, me laissant traumatisée ? 
Peu préparés à ce genre d’événements, les propriétaires peuvent se sentir comme sidérés, effrayés, culpabilisés. L’on rencontre les mêmes sentiments lors des conduites agressives : comment ce chien, qui partage ma vie depuis tant d’années, a-t-il pu me mordre ? Pris de doutes sur leurs capacités à être des bons maîtres, certains se sentent mis en défaut, tandis que d’autres ont soudain peur de leur animal. Et pourtant, en y réfléchissant juste un peu, quoi de plus naturel pour un chien que de partir en chasse ? Tous les chiens de compagnie ne sont plus capables d’aller jusqu’à estourbir ou ingérer des proies, mais la plupart expriment (parfois quotidiennement) un certain nombre des comportements liés à la prédation. Lorsque Médor prend sa peluche et la secoue violemment, il ne fait rien d’autre que mimer la mise à mort d’une proie. Idem lorsqu’il poursuit sa balle, ou rapporte son jouet pour qu'on le lui relance.  
 
La balle : un substitut de proie (Crédit photo : Marie PERRIN)
Le chien, un prédateur
Car le chien est génétiquement programmé pour la prédation. Instinct puissant, lié à sa nature même de canidé, à la survie, la prédation implique une série de patrons-moteurs, que Joël Dehasse définit comme suit dans « Tout sur la psychologie du chien » : «Un patron-moteur est un comportement génétiquement prédéterminé, inné, qui n’a pas besoin d’être appris pour s’exprimer, mais qui a besoin d’apprentissage pour se perfectionner, et qui est auto-renforcé». Ce qui signifie que le chien est un prédateur-né, mais que chaque fois qu’il part en chasse, il se perfectionne, apprend par essai erreur, et, surtout, que toute chasse réussie renforce son envie d’y retourner. L’on entend souvent dire « une fois qu’il a le goût du sang, on ne peut plus rien faire ». C’est évidemment faux, mais le langage populaire exprime malgré tout une certaine vérité : le chien qui parvient au bout de sa prédation vit un renforcement maximal, une sorte de fabuleux jackpot. Désormais, il sait que c’est possible, et surtout que c’est vraiment une expérience épatante !

Attention danger ! (Crédit photo Guillaume CHATELLARD - reproduction interdite)
 
Parmi les patrons moteurs de la prédation, l’on peut citer par exemple la fixation visuelle, la traque, la poursuite, la capture, la mise à mort, l’ingestion. Bien sûr, toutes les races, et tous les individus, ne sont pas capables d’exprimer tous ces patrons moteurs. D’autant que l’être humain a su tirer bénéfice de ces aptitudes naturelles. Grâce à la sélection génétique, il a fixé certains patrons moteurs chez certaines races : ainsi la fixation visuelle chez le border collie. Si les chiens ont la capacité de rassembler et de garder des troupeaux, c’est parce qu’ils sont des prédateurs, et que les éleveurs, au fil de leurs sélections, ont su briser la séquence comportementale complète de la prédation pour n’en conserver que ce qui pouvait leur être utile pour le travail. Et que dire des chiens de chasse sinon qu'effectivement, le terme «chasse» est suffisamment explicite : l'être humain a  créé puis «amélioré» toutes les races de chiens de chasse à des fins utilitaires, en éliminant certains patrons moteurs et en en optimisant d'autres : traque à l'odeur, affût, rapport sans abîmer la proie, etc. Même la recherche de personnes s'appuie sur l'instinct de chasse du chien (traque à la vue ou à l'odeur selon la discipline).
La prédation, une conduite agressive ?
Les spécialistes peinent à s’accorder sur une question : la prédation doit-elle être considérée comme une conduite agressive ? Pour certains éthologues, non. D’autres continuent de la classer dans les conduites agressives. Certes, l’acte de prédation est une atteinte à l’intégrité physique d’un autre être vivant, mais étant lié à la survie, à l’instinct même de l’« être chien », l’on peut légitimement se demander s’il s’agit d’agression, ou d’autre chose. En tout cas, le débat semble ouvert.
Bien sûr, certaines prédations sont aberrantes. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas fréquentes. Comme pour la plupart des comportements canins, l’on ne soulignera jamais assez l’importance de l’imprégnation précoce. Un chien habitué tout petit aux chats, aux chevaux, à toutes les espèces possibles d’animaux, présentera très certainement moins de tendances prédatrices qu’un chien qui croisera son premier chat à l’adolescence*. Cela vaut pour la prédation sur petits chiens, et pour la prédation sur enfants. Car oui, certains chiens, les médias ne manquent pas de le relayer en boucle lorsque cela se produit, prédatent les enfants. Tout particulièrement en bande : facilitation sociale et ganging peuvent faire des ravages. Certains grands chiens prédatent également les (tout) petits chiens. Ceci dit, lorsqu’on voit la diversité des races et des morphologies de nos chiens domestiques, l’on est parfois étonné de la capacité d’un dogue allemand à reconnaître un congénère en un mini-chihuahua. Face à de grandes disparités de taille, rappelons-le, la prudence doit toujours être de mise.
 
La fixité du regard, l'attitude générale du corps : cette vache pourrait passer un sale quart d'heure...
(Crédit photo : Marie PERRIN)
Mon chien prédate, que faire ?
Un chien qui prédate est un chien… normal ! Lorsque sa prédation ne s’exerce pas sur des enfants, elle n’a rien de pathologique. Privés de la possibilité de laisser s’exprimer ce puissant besoin, certains individus chassent les joggeurs, les cyclistes, les voitures, tout ce qui bouge en somme. Que peut-on faire ? Anticiper, tenter une familiarisation à certaines espèces, tenir son chien à la laisse s’il est très prédateur et que l’on se promène dans un secteur giboyeux, éventuellement travailler les blocages en éducation - avec les risques d’échecs liés à la valeur extraordinaire de la proie qui s’enfuit. Et se dire que notre chien, sous ses dehors policés, même toiletté, parfumé et vêtu d’une belle tenue de ville, cache un animal sauvage, qui rêve d’un festin de lapins et de lièvres, et de courir jusqu’à plus soif derrière une bande de chevreuils en déroute.
Marie Perrin
* Attention toutefois : le chat de la maison n’est pas le chat du voisin, et le chat dans la maison n’est pas le même qu’au-dehors de la maison. Certains chiens peuvent très bien dormir avec leur chat, et vouloir tuer les chats du dehors, ou dormir avec leur chat dans la maison, et vouloir  le tuer à l’extérieur, dès qu’il se met en mouvement.

mercredi 22 juillet 2015

Les chiens et les enfants : quelle relation ? quels risques ?

Les chiens et les enfants : les meilleurs amis du monde ? Comme dans «Belle et Sébastien» ou «Le Club des cinq» ? Pas si sûr, et pourtant, les images d’Epinal, tout comme les préjugés, ont la vie dure…
 
En 2014, en France, l’on dénombrait 7,3 millions de chiens. Considéré comme l’animal familial par excellence, le chien partage le quotidien de très nombreuses têtes blondes. Quelle relation unit nos chiens et nos enfants ? Quels sont les risques inhérents à cette cohabitation, et comment agir en amont, pour garantir une relation optimale ?
 
La famille idéale dans l’imaginaire collectif ressemblerait un peu à ceci : une maman, un papa, deux enfants (garçon et fille), et un chien, golden retriever ou labrador sable, parfois aussi un chat. Dans la réalité, les familles sont multiples, composites, leur lien à l’animal et le choix de leur chien aussi. Et dans nombre de foyers, le drame couve. A voir certaines vidéos, ou à écouter les propriétaires parler de leur vie de tous les jours lors des consultations, l’on se dit même qu’au regard de toutes les erreurs, de tout ce qu’on fait vivre à nos chiens de compagnie, il est même étonnant qu’il n’y ait pas plus d’accidents…
 
Des conduites agressives qui alimentent les faits divers
 
Néanmoins, les conduites agressives sont extrêmement fréquentes. Qu’elles soient le fait du chien de la maison, du chien de voisins ou d’amis, ou de chiens en divagation. Et chaque tragédie fait les unes des journaux. Car les médias semblent adorer ces faits divers mettant en scène des chiens et des enfants. Cynophobie ? Goût du sensationnalisme ? A chaque fois, fleurissent les mêmes débats sur la dangerosité de certaines races ou morphologies.
 
Toujours dans l’imaginaire collectif, certaines races paraissent d'ailleurs plus prédisposées que d’autres pour la vie en famille. Mais bien des paramètres entrent en ligne de compte pour faire de Médor le « bon chien de famille » dont tout le monde rêve. Qualité du travail de l’éleveur, sélection de géniteurs stables, génétique optimale, familiarisation et socialisation menées avec professionnalisme et intelligence : autant d’éléments à prendre en considération avant d’adopter un chien pour la famille.
 
Joël Dehasse note («Tout sur la psychologie du chien») : «Le gène de l’amitié n’existe pas. Contrairement à ce que l’on écrit dans de nombreux livres sur les races de chien, que telle ou telle race est l’amie des enfants, ce qui est un mensonge grave, il n’y a pas de prédisposition génétique à aimer les enfants, chez aucun chien. C’est l’apprentissage en période d’imprégnation (socialisation primaire) qui permet de mettre en place les mécanismes cognitifs de reconnaissance des enfants en tant que (type) ami. Certaines races ont certainement une prédisposition à faire cet apprentissage plus facilement et plus longtemps et avec moins d’interactions (ludiques et sociales) que d’autres ; là se situe en effet une prédisposition génétique ».
 
Les expériences précoces, comme la familiarisation aux enfants, mais aussi le respect de l’individualité du chien, la satisfaction de son besoin de dépense physique et psychique, la manière dont tout le monde vit autour de lui, son tempérament : chaque chien est différent, chaque famille aussi, et toutes les alliances ne sont pas judicieuses. Un chien hyperactif et réactif, sensible à la nourriture, présentera inévitablement plus de risques pour l’entourage « enfants » qu’un chien plus placide, peu sollicité par les ressources du quotidien. Mais, ne l’oublions jamais : même le plus flegmatique des chiens peut, un jour, irrité par la troupe de bambins rassemblée autour de son panier, prendre fortement ombrage de ce tohu-bohu, se défendre et mordre. Tous les chiens, poussés dans leurs ultimes retranchements, sont susceptibles de faire usage de leur unique (et redoutable) arme : leur mâchoire…
 
Quelques statistiques
 
Sur le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’on peut lire : «On ne dispose à l’échelle mondiale d’aucune donnée sur l’incidence des morsures canines bien que des études permettent de penser qu’elles sont responsables de dizaines de millions de blessures chaque année. Aux États-Unis d’Amérique par exemple, environ 4,5 millions de personnes sont mordues par un chien chaque année. Parmi celles-ci, près de 885 000 consultent un médecin; 30 000 ont recours à une chirurgie réparatrice; 3 à 18% contractent des infections et entre 10 à 20 décès sont à déplorer. Dans d’autres pays à revenu élevé comme l’Australie, le Canada et la France, l’incidence et les taux de mortalité sont comparables
 
Joël Dehasse («Tout sur la psychologie du chien ») souligne quant à lui que «les enfants semblent mordus deux fois plus que les adultes (du moins pour les morsures présentées à un médecin)». Il ajoute que «les enfants sont mordus à la maison dans 65% des cas» (leur maison ou celle du chien, donc d’amis), et qu’«à la maison, l’enfant mordu était seul (c’est-à-dire sans adulte) dans 100% des cas avec le chien. Sur la voie publique, l’enfant était seul dans 94% des cas». Enfin, si les adultes sont généralement mordus aux membres (jambes et bras), les enfants le sont à la tête et au visage, avec les dégâts que l’on peut aisément imaginer. Sans compter les cas, peu fréquents fort heureusement, de prédations sur enfants, parfois en « bandes organisées » (ganging).
 
Un enfant, des enfants… Quelles morsures, et pourquoi ?
 
Avant d’aller plus loin, il faut évoquer une réalité, dont peu de parents semblent conscients : pour le chien, un bébé de 7 mois, un enfant de 2 ans, de 7 ans ou un pré-adolescent sont des « espèces » différentes. Or tous les chiens n’ont pas été familiarisés à toutes ces catégories d’enfants, et tous n’ont pas la souplesse et la stabilité émotionnelles pour s’adapter sereinement à ces diverses étapes du développement du petit humain. Les spécialistes peinent à s’accorder sur l’âge à partir duquel un enfant ne devrait jamais être laissé seul avec un chien : les plus optimistes parlent de 6-8 ans, les plus réalistes (à mon avis), de 12 ans. L’on sera tout particulièrement vigilant avec les tout-petits, ceux qui commencent à crapahuter : certains chiens peuvent vouloir les bloquer, comme ils le feraient avec un chiot, voire les prédater, les prenant pour des petites proies qui gigotent.
 
 
 
Chiens et enfants : une relation qui peut être belle et enrichissante, si les adultes assument leurs responsabilités
 
Crédit photo : Marie Majkowiez - toute reproduction interdite
 
Pourquoi un chien peut-il être amené à mordre un enfant ? Pour de multiples raisons… Qui vont de la protection de certaines ressources importantes pour le chien à des douleurs ou pathologies liées à l’âge (chez le chien vieillissant) ou à un environnement d’excitation permanente. L’on peut citer, en vrac : les chiens harcelés, qu’aucun adulte ne vient protéger, les chiens qui se réfugient dans un recoin d’un meuble et que l’on vient déloger de force, les chiens que l’on enlace alors qu’ils n’apprécient pas ce genre de contacts, le chien qui dort et sur lequel l’enfant trébuche ou chute, le chien soudain effrayé, ou dont on ne respecte pas le lieu de couchage. Très fréquent : le chien que l’on a laissé sous la table lors du goûter des enfants. Un gâteau tombe, chien et enfant se précipitent pour le ramasser… Et hop, survient une morsure avec son cortège de dégâts : enfant potentiellement traumatisé, chien peut-être euthanasié.  La nourriture, celle des enfants mais aussi la gamelle du chien, sont des sources courantes de conflits et de conduites agressives. Il convient de redoubler de vigilance à ces moments-là.
 
Enfin, l’on peut aussi évoquer tous ces chiens de famille qui, passant en tout dernier, après tous les humains du foyer, souffrent d’ennui et d’un manque d’activité. Certains, pour éviter l’«hyperboring syndrom» (et combien de chiens en sont atteints…), peuvent se découvrir un penchant soudain, et bien pénible, pour la protection des ressources ou des déplacements, et se muer en tyrans domestiques. Et puis, évidemment, comme les enfants, les chiens ont besoin de limites claires, d’un cadre de vie bien posé, logique et cohérent : dans un milieu perpétuellement flottant, le chien peut s’arroger des prérogatives qui, de fil en aiguille, vont finir par menacer toute la famille, les enfants en premier.
 
Une question de connaissance
 
L’éducation des enfants à la communication canine et aux gestes à adopter face à un chien menaçant est de plus en plus fréquente, notamment dans les écoles. Ces cours, dispensés par des spécialistes, sont certes indispensables, mais ils ne suffisent pas. Souvent, lors des consultations pour des troubles du comportement, l’on se dit que c’est d’abord les parents, les adultes, qu’il faudrait éduquer à la vie avec un chien. Expliquer, tout simplement, comment le chien perçoit l’enfant, et vice-versa, quels sont les risques liés à leur cohabitation, en fonction de l’âge de l’enfant mais aussi du tempérament du chien, lister les risques et la manière de les anticiper.
 
Nombre de parents délèguent à leurs enfants le soin de promener le chien, de le nourrir, les laissent jouer seuls dans le jardin sans surveillance. L’on devrait aussi sensibiliser les adultes au fait qu’avant 3 ans, un enfant ne perçoit pas le danger et les signaux émis par le chien. Et que sa petite taille et sa fragilité rendent les éventuelles morsures et griffures d’autant plus redoutables (voir à ce sujet les vidéos en bas d’article). Il n'est pas rare qu'un chien mordeur ait agi en état de légitime défense (eh oui !), et dans tous les cas, les vrais responsables de l'agression sont les adultes, qui n'ont pas su anticiper, créer un climat de confiance, gérer le chien et les enfants...
 
Mais alors, quelle relation entre le chien et l’enfant ?
 
Un enfant ne devrait jamais être laissé seul avec un chien. Il ne devrait pas non plus être chargé de s’occuper de lui, de le promener, de le soigner. Ce qui n’empêche pas qu’en compagnie d’un adulte, il puisse prendre part à tous ces éléments de la vie du chien. Des caresses, des jeux, des activités physiques : le chien et l’enfant, sous réserve qu’un des parents soient toujours là pour superviser, peuvent partager des moments de grande joie et de grande complicité. Les parents responsables vont aussi apprendre à leur enfant que le chien est un être vivant, sensible, avec des besoins spécifiques, un animal qu’il faut respecter, ne pas provoquer, ne pas embêter.
 
Les bénéfices de la relation entre le chien et l’enfant
 
Auprès de son chien, l’enfant va apprendre la vie, la maladie, la mort, le deuil, mais aussi l’affection mutuelle avec un « autre » fondamentalement différent. Identification, projection, miroir : l’animal, de l’avis des psychologues, représente un vrai plus dans la construction de la psyché de l’enfant. L’on dit aussi que les enfants qui vivent avec des animaux seraient moins sujets aux allergies.
 
Enfin, le chien pourra constituer un confident, d’autant plus précieux qu’il ne jugera pas. Dans tous les cas, la présence d’un chien aux côtés d’un enfant, quand ils sont l’un et l’autre respectés et protégés par des adultes responsables, ne peut être qu’un plus, un véritable enrichissement permanent.
 
Marie Perrin
Quelques vidéos à regarder pour se faire son opinion