vendredi 13 février 2015

Nos chiens sont-ils jaloux ?


Quel maître n’a jamais pensé, dit, affirmé, parfois avec force véhémence : « ouhlà, attention, mon chien est très jaloux ! » ? C’est d’ailleurs l’une des phrases les plus courantes sur les terrains de dressage, ou lors des rencontres entre propriétaires… Mais nos chiens sont-ils réellement jaloux ? Sont-ils capables, cognitivement parlant, d’une émotion aussi complexe que la jalousie ? Regardons ce qu’il en est, en l’état actuel des connaissances scientifiques.
 
N’importe quel familier des chiens aura tendance à estimer que oui, les chiens peuvent être jaloux. Indéniablement. Dans bon nombre de circonstances d’ailleurs, et fort différentes les unes des autres. Ainsi, si Médor grogne lorsqu’on tente de caresser un congénère, n’est-ce pas là le signe de sa jalousie ? Et si Médor s’interpose pour exiger sa part de câlins quand son maître prend sa chère et tendre dans les bras, n’est-il pas à nouveau jaloux ? Ne risque-ton pas de le froisser si l’on donne une friandise à un autre chien en sa présence, ou si l’on accorde une prérogative à son compagnon de vie sans la lui octroyer à lui aussi ? Pourtant, comme souvent dès qu’il est question de chiens, le ressenti des propriétaires se heurte à la littérature scientifique.

La jalousie, un sentiment humain ?

A contrario des propriétaires, un grand nombre de spécialistes refusent en effet l’idée que les chiens pourraient eux aussi, tout comme nous, souffrir les affres de la jalousie. Valérie Dramard, auteure du « Comportement du chien de A à Z », note à l’onglet « Jalousie » (p. 189) : «(…) la jalousie étant par définition un sentiment humain [qui] désigne l’anxiété et l’insécurité ressenties par une personne qui a peur de perdre un objet ou une personne qu’elle perçoit comme convoité par quelqu’un d’autre, qualifier un chien de jaloux ne semble (…) pas approprié ». Pourquoi ? 

Tout d’abord, si la plupart des chercheurs s’accordent à dire que les chiens ressentent des émotions simples comme la peur, l’anxiété, la joie ou la tristesse, ils restent dans l’expectative quant à leur éventuelle capacité à éprouver des émotions complexes (et des sentiments) comme la jalousie, la culpabilité, la honte ou l’embarras. En éthologie canine, il semble faire consensus que les chiens ne sont pas aimants mais affectueux, qu’ils ne sont pas mus par la vengeance mais par la frustration. Et qu’ils ne sont pas jaloux mais possessifs

Eviter le piège anthropomorphique

Une règle fondamentale en éthologie concerne l’anthropomorphisme : les chercheurs veillent scrupuleusement à  ne pas projeter d’émotions humaines sur leurs sujets d’études. Non parce que l’anthropomorphisme serait le « mal » en soi, mais plutôt par souci de neutralité, d’« objectivité » scientifique (si tant est que cette notion ait un sens). Ils espèrent ainsi éviter les erreurs, et ne pas interpréter de manière complexe un comportement qui pourrait être expliqué de manière plus simple (loi de parcimonie 1). Surtout, n’oublions pas qu’une des conséquences de la confusion anthropomorphique, c’est la maltraitance involontaire 2. Car, même si cela tombe sous le sens, répétons-le une fois de plus : un chien n’est pas un humain. Lorsqu’on calque sur lui des manières de percevoir le monde, ou des sentiments humains, l’on court le risque de passer à côté de sa réalité à lui, de son « Umwelt ».

Par exemple, dire d’un chien qu’il est jaloux ne permet pas de trouver des solutions pratiques au problème rencontré. En présence d’un individu qui tente de s’interposer entre son maître et sa maîtresse, le comportementaliste canin préconisera de revoir toute la relation qui unit ce chien à ces propriétaires, afin que ceux-ci redeviennent les leaders du système.

Des voix discordantes du côté de certains auteurs

Tout ceci n’empêche pas certains spécialistes de se poser la question de l’éventuelle jalousie des canidés domestiques. Ainsi Stanley Coren qui, dans un article paru en ligne (« Jealousy. Dogs and the Green-Eyed Monster »), explique que, si la plupart des scientifiques refusent de parler de jalousie pour les chiens, c’est parce que cette émotion ferait appel à une conscience de soi très élaborée. Pourtant Stanley Coren lui-même pense que les chiens peuvent éprouver de la jalousie, quand bien même celle-ci ne serait pas aussi élaborée, ou pas tout à fait de même nature que celle des êtres humains ou des grands singes. Stanley Coren ajoute que la jalousie ayant une fonction sociale, il paraît tout à fait logique qu’elle concerne une espèce aussi sociale que le chien.

Pour étayer ses dires, Stanley Coren s’appuie sur une étude menée sur 43 chiens en 2008 à l’université de Vienne, en Autriche. Le professeur Friederike Range et son équipe ont ainsi mis en évidence que les chiens pourraient ressentir de la jalousie. Tout comme ils ne supporteraient pas d’être traités de manière injuste, ou inégale.

Une autre étude, menée plus récemment par Christine Harris et Caroline Prouvost à l’Université de San Diego, en Californie, aboutit exactement aux mêmes conclusions. Relatée longuement dans l’article «Jealousy in Dogs», paru dans le journal en ligne «Plos On» en juillet 2014, elle met en évidence que les chiens sont bien capables d’une certaine forme de jalousie. Elles ont notamment constaté que les chiens montraient plus de signes de « jalousie » quand leur propriétaire était affectueux avec un autre chien que quand leur propriétaire interagissait avec un objet. Elles concluent en espérant que leur «travail motivera d’autres chercheurs à suivre leur voie et à s’intéresser de manière plus approfondie aux émotions sociales chez les animaux ».

Marie Perrin


2. Les maltraitances involontaires et invisibles seront l’objet d’un prochain article

Pour aller plus loin, l’article de Plos On qui relate de manière détaillée l’expérience de Christine Harris et Caroline Prouvost :


D’autres articles sur la question :




 

 

 

 

 

 

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