jeudi 26 septembre 2013

Qu’est-ce qu’un chien gentil ?

L’actualité, souvent, vient pointer du doigt, cruellement, la dangerosité potentielle de nos amis canins. Pourtant, si tant de chiens partagent les foyers occidentaux d’aujourd’hui, c’est bien parce qu’entre les canidés et les humains s’établit une familiarité profonde qui vaut parfois presque parenté. Et nombre de propriétaires l’affirment : leur chien est gentil, tout simplement.


Chiens muselés dans les espaces publics, tenus en laisse, privés de liberté, entravés dans tous leurs désirs : la vie publique d’un chien, aujourd’hui, n’a rien d’une sinécure. Au-delà de l’aspect purement sécuritaire pour l’animal lui-même – il pourrait par exemple être écrasé par une voiture en s’engageant intempestivement sur la chaussée, ou se perdre en forêt en suivant la piste d’une proie -, l’argument majeur avancé pour justifier toutes ces obligations est toujours le même : la potentielle dangerosité du chien. Et les faits divers, malheureusement, semblent donner raison au législateur, le poussant à renforcer toujours plus ses exigences vis-à-vis des chiens.


Mais qu’en est-il de tous les chiens gentils ? Où sont-ils, tous ces toutous paisibles, tranquilles, qui ne demandent qu’à pouvoir exister en toute sérénité et ne posent jamais le moindre problème à leurs propriétaires ou à la collectivité ? Tous ces compagnons de vie qui, bien qu’appariés à des humains pas très au fait de leur réalité éthologique, ne présentent jamais de conduite déviante ou débordante ? Et surtout, qu’est-ce qu’un chien gentil ?


Un chien qui ne mord pas, doté de bien des qualités

Globalement, l’on peut affirmer qu’un chien gentil, c’est avant tout un chien qui ne mord pas, qui ne montre jamais, en aucune circonstance, de signe d’agressivité. Mais c’est aussi un chien qui obéit, qui accepte de suivre son maître sans rechigner, et se plie à ses injonctions avec bonne grâce. Qui aboie quand il le faut, mais pas trop, tolère la solitude et ne « vole » pas les restes de la table. Un chien bien éduqué en somme, respecté dans son être de canidé et qui ne développe pas de troubles comportementaux. Ces chiens gentils sont-ils l’exception, ou bien plutôt une norme passée sous silence au nom du « tout sécurité » ?


La vérité se situe sans doute dans l’entre-deux. Le chien est un animal, pas une peluche. En tant que tel, il est tout à fait capable, un jour ou l’autre, pour diverses raisons, de grogner, montrer les dents voire, si l’on néglige ses avertissements, passer à l’acte en mordant. Néanmoins, et indépendamment de son apparence morphologique, tout chien correctement socialisé et familiarisé*, auquel on donne la possibilité de vivre une vie de chien satisfaisante, n’aura aucune raison de « mal » se comporter, pas plus en public qu’en privé. Car un chien gentil, n’est-ce pas avant tout un chien équilibré ? Auquel on a pris le temps d’apprendre les bases de la vie ensemble, et qu’on traite comme un chien, ni plus ni moins. Un chien qui sait s’inhiber quand il le faut, mais auquel on ne demande pas plus que ce qu’il peut donner.


Bien dans ses coussinets et dans sa tête de canidé...

Or pour qu’un chien soit équilibré, il n’y a pas de secret : il faut que toutes les étapes de son développement aient été respectées, et qu’il soit comblé dans ses besoins fondamentaux. Lesquels sont, rappelons-le, fonction de chaque individu, tous n’ayant pas le même tempérament, pas la même personnalité. Certains sont naturellement plus souples, plus faciles à gérer, plus suiveurs que meneurs. D’autres se montrent plus rétifs mais avec le maître approprié, sont parfois aussi doux que des agneaux.


Finalement, dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’on revient toujours à la même réalité : un binôme chien-humain bien assorti est un gage de réussite. Dès lors que l’humain demeure le leader de son animal, qu’il en connaît les défauts et les qualités, les faiblesses et les fragilités, la cohabitation ne peut qu’être un long fleuve tranquille, main dans la patte pour le meilleur... et le meilleur !

Marie Perrin
 
* la socialisation renvoie à l’imprégnation à sa propre espèce : par la socialisation, le chien apprend à être un chien. La familiarisation renvoie à l’apprentissage des autres espèces.

mardi 3 septembre 2013

Le clicker training, un outil malin (Chien magazine de septembre 2013)

La méthode du clicker training est née dans les années 40-50, inventée par Marian et Keller Breland, deux étudiants de Skinner, le père du conditionnement opérant. Ils affinèrent leur technique en travaillant avec des chiens, des pigeons puis des mammifères marins, associant une récompense à un stimulus sonore. Dans les pays anglo-saxons, cette méthode se développa rapidement, notamment dans les années 80 grâce à Karen Pryor.

Aujourd’hui, l’usage du clicker training s’est généralisé : des chevaux aux poules, des chats aux otaries, de très nombreux animaux, domestiques ou captifs, sont conditionnés ou apprivoisés grâce à cette méthode. Dans les parcs zoologiques, les dresseurs apprennent notamment aux animaux à accepter des manipulations simples, ce qui permet aux vétérinaires d’effectuer les contrôles et soins de base sans anesthésie. Le monde cynophile, quoi qu’encore partiellement réfractaire, a lui aussi été gagné par ce petit instrument rudimentaire, mais si malin !

Qu’est-ce que le clicker ?

Le clicker est un petit boîtier muni d’un mécanisme tout simple : une languette métallique produit un petit bruit caractéristique (click) quand on appuie dessus. La languette métallique peut être surmontée d’un bouton et certains clickers associent un embout de sifflet à la fonction « clicker » (une fonction deux en un en quelque sorte, fort utile par exemple pour travailler le rappel).

Le principe du clicker training

Le cliker est un outil d’apprentissage. Ses avantages sont multiples : il permet d’éduquer (ou d’apprivoiser) l’animal sans le toucher (cela peut être utile pour des animaux rétifs, traumatisés, sauvages), émet un son neutre, qui ne varie jamais et reste toujours égal (a contrario de la voix humaine, chargée en émotions), dans le calme et avec précision. En effet, ce qui importe, c’est le timing ! Le clicker peut marquer une action à la fraction de seconde près. Un atout indéniable, mais aussi une difficulté pour les néophytes !
 
Le « clic » du clicker indique au chien qu’il a fait ce qu’on attendait de lui. Et grâce à ce « clic », le chien devient un acteur de son apprentissage : il cherche comment déclencher le « clic », réfléchit, tâtonne, propose, essaye, se fatigue ! En un mot comme en cent, il fait travailler ses neurones ! De ses sept semaines de vie jusqu’à ses vieux jours, il peut ainsi manipuler son maître en le faisant cliquer à l’envi : quoi de plus formidable ? Le chien coopère, devient un partenaire actif, et son apprentissage n’en est que plus durable.

Conditionnement opérant, renforcement et punition

Initié par Edward Thorndike, le concept de conditionnement opérant fut développé par le psychologue américain Burrhus Frederic Skinner, père du béhaviorisme radical. L’apprentissage résulte d’une action : en fonction des conséquences de celle-ci, le sujet va reproduire, ou non, son comportement. Le conditionnement opérant repose sur deux éléments : le renforcement et la punition, lesquels peuvent être positifs ou négatifs. Positif signifie que l’on ajoute quelque chose, négatif que l’on retire quelque chose. Il existe ainsi quatre types de conditionnement opérant : le renforcement positif, la punition négative, la punition positive et le renforcement négatif.
 
Le renforcement positif signifie que l’on ajoute un élément agréable pour l’animal : on récompense par une friandise le fait qu’il marche joliment au pied ou qu’il revienne au rappel.
La punition négative signifie que l’on retire quelque chose à l’animal : par exemple on lui tourne le dos lorsqu’il saute trop vigoureusement pour saluer, ou on cesse toute interaction avec lui quand il se met à mordiller.
La punition positive consiste à ajouter quelque chose de désagréable pour le chien : par exemple un coup sur la laisse quand il tire trop fort.
Quant au renforcement négatif, il consiste à retirer un élément désagréable quand le chien adopte l’attitude attendue : par exemple tirer préalablement la laisse vers le haut pour le faire s’asseoir et la détendre quand il est assis.

Méthodes positives et clicker training

Les méthodes positives d’éducation reposent exclusivement sur le renforcement positif et la punition négative, à l’exclusion de la punition positive et du renforcement négatif. Travailler au clicker training, c’est franchir un pas de plus en n’utilisant plus que le renforcement positif ainsi que la neutralité – ignorer ce qui ne va pas dans le sens attendu (c’est la loi de l’extinction). Tandis que toute action non désirée est ignorée, les « bonnes » actions, ou les actions qui concourent au résultat final escompté, sont récompensées et encouragées.
 
Le « clic » agit comme un renforçateur secondaire, le renforçateur primaire étant (généralement) la nourriture. C’est pour cela qu’on dit qu’il faut « amorcer » ou « charger » le clicker : le chien doit préalablement faire l’apprentissage que ce petit bruit lui vaut (toujours) friandise (même si l’on a cliqué à mauvais escient). Une fois qu’il aura complètement intégré cette donnée – et cela va très vite ! -, l’on pourra passer à l’étape suivante : que le chien propose une action pour déclencher le « clic » magique, celui grâce auquel il se verra gratifié d’un succulent morceau de saucisse de viande (par exemple !)
  
Comment travailler au clicker ?

Plusieurs approches sont possibles : l’on peut cliquer un comportement spontané, utiliser le shaping (ou façonnement) ou passer par un leurre. Evidemment, l’approche la moins complexe, c’est de cliquer un comportement spontané ou d’attendre que le chien propose de lui-même le comportement désiré. Si l’on veut apprendre le « assis » au chien, on va ainsi cliquer le chien à chaque fois qu’il se mettra assis. On répètera l’exercice dans diverses situations (à la maison, dans la rue, dans les champs, avec du bruit et des distractions), et une fois que ce « assis » sera assimilé, l’ordre verbal pourra être introduit.
 
Le shaping nécessite un peu plus de familiarité avec l’outil et avec son utilisation : l’on va cliquer et récompenser tous les comportements qui se rapprochent de l’action finale souhaitée. Ce qui sous-entend que l’on ait préalablement une vision très claire du but recherché. Si l’on veut qu’un chien ouvre une porte, on va cliquer le fait qu’il regarde la porte, puis qu’il s’approche de la porte, puis qu’il la touche, puis qu’il la pousse, puis qu’il la ferme. Fin de la séquence.
 
Enfin, le leurre permet d’amener le chien, plus mécaniquement, au résultat désiré, comme au cours d’une éducation plus classique – mettre la croquette sous le nez du chien pour l’amener à se mettre assis, puis cliquer ce « assis ». L’on peut aussi utiliser des targets ou des baguettes cibles (ou la paume de la main), qui permettent d’orienter les actions de l’animal et de le guider vers le but recherché.

Le jackpot

Comme le « clic » repose sur un renforçateur primaire (la nourriture), il est souvent conseillé de hiérarchiser les goûts de son chien : en mettant des petits morceaux de friandises sur le sol et en regardant dans quel ordre il s’en saisit, l’on peut se faire une idée de ses priorités gustatives. Il est ainsi possible de garder les mets les plus attractifs pour marquer la fin d’un exercice compliqué ou pour notifier une réussite éclatante. Le chien, non seulement concevra du plaisir à cette soudaine débauche alimentaire, mais de surcroît gardera dans un coin de sa tête qu’un jour, comme par miracle, le jackpot peut à nouveau s’offrir à sa truffe ravie : son intérêt restera ainsi en éveil, au cas où… Pour un individu particulièrement joueur, une séance de lancer de balle pourra venir se substituer au pâté de foie.
 
Ludique et amusant, le clicker training, bien maîtrisé, permet d’envisager toutes sortes d’apprentissages : de l’éducation basique pour la vie de tous les jours (les ordres simples, la marche au pied, le rappel) au travail sportif (agility, obéissance). En agility, il permet ainsi une meilleure mémorisation des zones sur les agrès, tandis qu’en obéissance, il permet d’affiner la qualité d’exécution des exercices ou de reprendre par le menu des ordres mal acquis (un assis un peu brouillon ou une marche au pied flottante).
 
travail de l'apportable au clicker training
(Photo Anne Meyer pour Marie Perrin)

L’attention du chien sur soi

L’un des premiers apprentissages consiste généralement à fixer la concentration du chien sur soi : une manière de se lier l’un à l’autre qui peut, parfois, permettre ensuite de contourner certaines difficultés plus profondes, comme des peurs ou des phobies. Plus attentif à son propriétaire, le chien anxieux pourra ainsi se laisser guider vers des actions de désensibilisation.
 
Dans tous les cas, rappelons-le, une fois que les choses sont acquises, le clicker disparaît : l’ordre, donné verbalement, est récompensé de manière aléatoire, et le petit boîtier n’est ressorti que pour un nouvel apprentissage. Toujours en s’amusant, évidemment ! Car le clicker training va au-delà de la simple « méthode » : ses adeptes font équipe avec leur chien. Ils n’entendent pas dominer ou maîtriser leur animal, mais former avec lui un binôme épanoui, sans cesse en quête d’interactions nouvelles. Et maintenant, si vous vous lanciez dans l’aventure du clicker training ?

Marie Perrin