jeudi 15 août 2013

La détresse acquise, pour aller plus loin...


Détresse acquise, inhibition de l’action, syndrome de Klüver Bucy : pour aller plus loin...

L’état de détresse acquise a fait l’objet d’un article récent, à lire sur ce blog. A plusieurs reprises, en surfant sur le Net et en discutant avec des amis, j’ai cru comprendre que certains lecteurs restaient sur leur faim et que des questions demeuraient en suspens, bref que mon article n’était pas assez précis. C’est pourquoi j’ai décidé de rédiger ce texte-ci qui, je l’espère, répondra à (toutes ?) vos attentes.

Petite précision : je cite souvent des expériences menées sur des animaux. A titre individuel et éthique, je récuse complètement ces méthodes. Mais si je souhaite parler des notions de détresse acquise, d’inhibition de l’action et de syndrome de Klüver Bucy, je suis forcée de relater ce qui a été testé en laboratoire. Pour l’inhibition de l’action, il s’agissait même de recherche fondamentale, c’est-à-dire que les chiens n’ont pas été « torturés » pour un quelconque savoir biologique ou éthologique, mais pour le « plaisir » de la connaissance scientifique pure.

Détresse acquise, inhibition de l’action, syndrome de Klüver Bucy : autant d’états de souffrance qui peuvent toucher nos animaux familiers, tout particulièrement nos chiens (mais aussi nos chevaux), soumis à des stress intenses au nom de pratiques de dressage antédiluviennes mais, surtout, d’une certaine vision de l’animal, soumis, contraint, parfois littéralement réduit en esclavage.

L’inhibition de l’action

L’inhibition de l’action a été mise en évidence à la fin du XXe siècle par Henri Laborit. S’immobiliser est l’un des moyens de défense en cas de danger : ainsi le rongeur qui se fige en présence d’un prédateur. De manière ponctuelle, cette inhibition de l’action n’est donc pas pathogène. Mais elle devient toxique si l’animal s’y installe durablement. A travers des expériences menées sur des rats, Henri Laborit a prouvé que, confrontés à des chocs électriques qu’ils ne pouvaient pas fuir (et qui étaient toujours annoncés par un signal sonore), les animaux sombraient dans un état de stress avec somatisation : ils avaient appris, dans la douleur, qu’ils ne pouvaient pas agir sur leur environnement.

Dans le film «Mon oncle d’Amérique» d’Alain Resnais (1980), Henri Laborit expose ainsi sa découverte : « cette punition va provoquer chez [le rat] un comportement d’inhibition. Il apprend que toute action est inefficace, qu’il ne peut ni fuir ni lutter ». Henri Laborit note par ailleurs que si le rat peut rediriger la douleur provoquée par les chocs électriques sur un autre rat, il ne développera pas les mêmes troubles physiques et psychiques. L’on prend ainsi la mesure de l’importance des actions (et conduites agressives) redirigées, qui permettent à l’animal d’avoir l’impression de demeurer acteur de ce qui lui arrive.

Lorsqu’il se retrouve dans une situation potentiellement dangereuse, le chien, comme le rat, peut faire l’économie de la fuite ou de l’attaque en s’immobilisant : il inhibe son action. Malheureusement, si cette inhibition ne découle pas d’un choix, si, quoi qu’il tente, il ne parvient pas à fuir le stimulus aversif, il va sombrer dans un état pathogène. S’ensuivront des troubles organiques et psychiques.

L’état de détresse acquise

Cette inhibition de l’action correspond, en d’autres termes, à ce que Seligmann et son équipe ont nommé « état de détresse acquise ». Anesthésiés, sidérés, les chiens (ou les rats, ou les humains) capitulent, pris dans un système pervers qui les anéantit.

Ces états extrêmes ont été décrits par des éthologues spécialisés dans les chevaux. C’est le fameux « join up », lequel va même au-delà de l’inhibition de l’action ou de l’état de détresse acquise. Dans un article publié en ligne*, Jean-Claude Barrey et Nadès Miklas, un éthologue et une biologiste, soulignent que « la soumission obtenue par les méthodes de type join up est en fait une aliénation pathologique connue sous le syndrome de Klüver Bucy. Cette pathologie est provoquée par les mises en fuite et les blocages répétés du join up et des méthodes assimilées. Ces inhibitions de l’action cohérente du cheval entraînent une très forte activation de l’axe HHA (hypothalamus-hypophyse-adreno-cortical) qui aboutit à shooter l’animal par ses propres endorphines et entraînent des lésions des noyaux amygdaliens latéraux du cerveau limbique ».

Le syndrome de Klüver Bucy

Découvert par un psychologue (Henrich Klüver) et un neurochirurgien (Paul Bucy) de l’université de Chicago, ce syndrome est lié chez l’être humain à une destruction d’une partie du cerveau (lobectomie). Ses principaux symptômes sont : une incapacité à reconnaître les visages, une incapacité à reconnaître les objets par leur forme (perçue par le sens tactile), des troubles de la mémoire, un émoussement émotionnel, une oralité compulsive, un besoin d’explorer l’environnement, un mouvement incessant, une hyper-sexualité et une disparition de la peur. Chez le chien, comme chez le cheval, l’on peut en retrouver les grands traits dans des cas de stress aggravé et perdurant. Après quelques minutes d’un stress extrême, par exemple lors de certaines séances de rééducation musclées, le chien entre dans une sidération visible à l’œil nu, même pour le plus néophyte des observateurs. Les émotions de l’animal disparaissent : il est comme lobotomisé. Forcément, ce chien-là, ou ce cheval-là, semblera assagi, d’un contact aisé : mais ne nous y trompons pas, sa souffrance est infinie. Tout débourrage rapide chez le cheval, toute rééducation rapide chez le chien font ainsi appel à l’inhibition conditionnée, laquelle est clairement de la maltraitance.

L’on ne peut que faire le parallèle avec les méthodes de certains dresseurs qui, en peu de temps, obtiennent des résultats que d’aucuns jugent spectaculaires. Bien sûr que les tenants des méthodes coercitives ont des résultats, et rapides ! Ils forcent l’animal à se soumettre à leur vouloir, faisant complètement fi de ce qu’il pourrait, lui, désirer. On ne le dira jamais assez : un comportement n’apparaît pas par hasard, il répond à une motivation profonde. Vouloir redresser le comportement sans tenir compte des causes qui ont mené le chien à l’adopter, c’est forcer l’animal à se taire. Le comportement sera peut-être sous contrôle, muselé, mais les causes sous-jacentes seront toujours présentes… Peu à peu, certains chiens se retirent ainsi dans des recoins silencieux de leur être où plus rien ne peut les atteindre. Ils sont dépossédés d’eux-mêmes, retranchés dans des limbes mortifères. Certains ne s’en remettent jamais…

La capacité de résilience

Fort heureusement, ces cas graves restent plutôt rares (quoique ?). Les chiens de Seligmann furent ainsi capables de résilience : dès lors qu’un être humain leur montrait comment échapper aux chocs électriques, ils récupéraient leur instinct de survie et parvenaient à fuir. C’est une bonne nouvelle, une raison d’espérer. Mais l’idéal serait de réussir à mettre définitivement à terre l’idéologie qui donne naissance à toutes ces croyances autour de l’animal de compagnie, et tout particulièrement du chien. Stressé, forcé, nié, maltraité, réifié au nom d’une théorie de la dominance pourtant inepte et détricotée à de multiples reprises. Et au nom, aussi, d’une certaine manière de percevoir l’animal : autre que nous, certes, mais surtout inférieur et inféodé. Ce qui autorise toutes les aberrations.

Marie Perrin


 

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